Ali vs. Wepner

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Cinq mois après son succès légendaire contre Georges Foreman à Kinshasa au Zaïre, le triple champion du monde des poids lourds Muhammad Ali pensait trouver en Chuck Wepner un opposant de faible qualité. Mal lui en a pris. Poussé dans ses derniers retranchements, « The Greatest  » a dû attendre la quinzième et dernière reprise pour venir à bout du « sanguinolent de Bayonne ».
 
 
Dans la salle, un acteur peu connu, passionné de boxe, ne perd pas une miette de ce surprenant duel. Son nom ? Sylvester Stallone. Inspiré, il se lance sans plus tarder dans l’écriture d’un scénario qui donnera naissance à l’une des plus belles et rentables productions hollywoodiennes de tous les temps : Rocky. Avachi devant Kojak, une bière à la main dans son canapé bon marché, Chuck Wepner est tout d’abord agacé de devoir se diriger vers le téléphone. Ses proches sont pourtant au courant : le géant de deux mètres déteste être dérangé quand il regarde sa série favorite. Au bout du fil, sa mère lui ordonne de regarder les informations. Changer de chaine durant un épisode de la célèbre série policière ? Hors de question ! Elle insiste : « Zappe ! On parle de toi à la télé ». Le brave fiston obéit. La nouvelle qu’il découvre est à deux doigts de le mettre K.-O. : il va affronter Muhammad Ali, le 24 mars 1975.
 
Pot de terre contre pot de fer
 
Inconnu du grand public à la veille de son duel contre Muhammad Ali, le moustachu fréquente pourtant le circuit professionnel depuis plus d’une décennie. Doté d’un courage proportionnel à son imposant physique, le poids lourd semble en revanche peu doué pour l’esquive. En effet, au cours des combats qu’il dispute la plupart du temps devant une faible affluence ou en sous-carte des cadors de sa catégorie, Wepner collectionne les points de suture et les fractures (mâchoire, nez…) au point d’y avoir gagné le surnom peu flatteur du « Sanguinolent de Bayonne ». En 1970, sa rencontre face à Sonny Liston, l’un des meilleurs poids lourds mondiaux, vire au massacre. Maltraité par un opposant dont les mains sont tellement imposantes qu’elles nécessitent une paire de gants sur-mesure, Wepner encaisse les coups durant neuf longues reprises. Poussé à l’abandon par le médecin,  « Big Chuck » passe du ring à l’hôpital sans passer par la case vestiaire. Avec le nez cassé, les yeux pochés et des coupures sur le visage qui nécessitent la pose de 120 points, le boxeur fait peur à voir. Mais qu’importe, Wepner a survécu à bien pire : il a servi dans la Marine durant trois ans et a été marié à trois reprises. Un peu d’humour mesdames, je vous prie…
 
 
Vendeur dans un magasin de spiritueux, il obtient un congé de son employeur ainsi qu’une avance sur les 100 000 dollars qu’il est censé empocher pour affronter Ali. Décidé à mettre les bouchées doubles, il part s’entraîner dans un camp situé non loin de Cleveland, avec sparring-partners et coach. Une première dans sa carrière pourtant riche de 41 combats (30 victoires, 9 défaites et 2 nuls). S’il avoue en baver comme rarement lors des entraînements, sa plus grande difficulté semble être de résister à l’appel de nombreuses prétendantes venues tenter leur chance avec le potentiel futur champion du monde WBC–WBA. Focalisé sur son duel face à la star planétaire, il balaie l’idée d’un écart de conduite en se répétant qu’il aura tout le temps de s’amuser par la suite… Si Muhammad Ali se montre moins rigoureux que Wepner dans sa préparation, c’est parce qu’il ne ressent aucune crainte à l’idée d’affronter cet illustre inconnu au physique plus proche du gentil tonton débonnaire que de l’athlète de haut niveau. D’ailleurs, le meilleur poids lourd actuel ne craint personne. Pas même le puissant Georges Foreman qu’il vient de battre en 8 reprises à Kinshasa au cours du combat du siècle. S’il connait deux accidents de parcours (contre Norton en 1973 et contre Frazier en 1970, défaites par décision arbitrale), les 45 victoires obtenues depuis son passage chez les rémunérés sont les témoins d’une connaissance totale de toute les ficelles du métier.
 
Showtime
 
Cleveland, 2 mars 1975. Sevré d’affrontements majeurs depuis l’opposition entre l’Allemand MaxSchmeling et l’Américan William Stribling en… 1931, près de 14.000 Clevelanders répondent présent afin d’assister à « la rencontre d’un artiste contre un peintre en bâtiment », dixit Larry Merchant, le  « Monsieur Boxe » de la télévision US. Dans un premier temps, Ali ne semble pas prendre son adversaire au sérieux. Sans avoir besoin de forcer son talent, il perce la garde de son opposant et parvient à caresser le menton de Wepner à plusieurs reprises. Dépassé par la rapidité du champion, le challenger se contente d’encaisser les coups à défaut de pouvoir donner le change avec celui qui « vole comme un papillon et pique comme l’abeille ». Tout semble alors indiquer une victoire imminente du puncheur de Louisville. Mais habitué à être dominé, « The Bayonne Bleeder » ne se montre pas disposé à plier. Évidemment, plus les rounds défilent, plus son visage vire au rouge Rubicon, mais le géant s’accroche. Au 9e round, un puissant crochet du droit de Wepner frappe Ali au cœur. Le champion est à terre. C’est la stupeur dans la salle. Vexé, Ali passe enfin la seconde. Ses coups sont désormais distribués avec plus de férocité qu’auparavant, mais Wepner tient bon… jusqu’au quinzième  et dernier round au cours duquel l’arbitre - Tony Perez - l’arrête à 19 secondes de la cloche. L’exploit n’a pas lieu. Ali remporte son combat, Wepner le sien : il a prouvé qu’il n’était pas un vaurien, mais un véritable boxeur.
 
Le vrai Rocky
 
Époustouflé par l’hallucinante prestation de Wepner, un jeune acteur de série B nommé Sylvester Stallone pense détenir une idée capable de booster sa carrière. « Je songeais déjà à écrire un film sur un boxeur avant de voir le combat entre Ali et Wepner. Mais c’est réellement en voyant le combat de Chuck que je me suis lancé. Un gars inconnu qui affronte le meilleur boxeur de tous les temps. Incroyable ! À peine, le combat terminé, j’ai pris mon stylo et je me suis mis à écrire ». Pari réussi ! Réalisé sans grands moyens, « Rocky » connaît un succès extraordinaire. Le film rafle une multitude d’Oscar et offre un véritable tremplin à la carrière de Stallone, acteur principal et co-réalisateur du film. Cinq autres épisodes suivront et un spin-off est même en préparation pour 2016.
 
 
Et Wepner dans tout cela ? Après une rencontre face au catcheur « André the Giant  » devant 32 000 personnes, qui inspirera une nouvelle fois Stallone pour réaliser Rocky III, il se retire des rings avec un bilan de 35 victoires, 14 défaites et 2 nuls. Il a 40 ans et aucun projet d’avenir. « La raison pour laquelle je boxais était simple : je voulais que les gens sachent qui était Chuck Wepner. Mais au début des années 80, ma vie a commencé à perdre son sens. Je n’avais plus rien à faire. La boxe donnait un sens à ma vie et, retiré des rings, je n’avais plus rien ». « Big Chuck » sombre dans la drogue, l’alcool et les femmes. Fêtard invétéré, il est arrêté en possession de cocaïne à la sortie d’une boîte de nuit au milieu des années 80. Condamné à 10 ans de prison, il n’en tire finalement que trois avant de retrouver sa femme Linda et son emploi de vendeur à la boutique. Sa vie a été d’une certaine manière réhabilitée par ESPN en 2011 dans un document intitulé « le vrai Rocky ». La vie d’un anonyme de la boxe devenu l’un des héros contemporains les plus marquants de la culture populaire de masse.
 
Par Matt Leduc

 

 

 

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