Un combat de gagné

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Enseigner la boxe à des détenus condamnés pour des faits de violence : l'idée peut paraître assez saugrenue de prime abord. On se dit que c'est un peu comme expliquer à un pyromane comment allumer un feu de forêt. Il suffit pourtant de franchir les portes du centre pénitentiaire de la Rivière des Galets au Port pour se rendre compte que le noble art peut servir d’excellent exutoire.

Dix détenus du centre pénitentiaire du Port ont pu affronter quelques-uns des meilleurs boxeurs de l’île dans le cadre du programme « Défis Boxe ». Un bon moyen d’avancer et de se changer les idées

Dans un contexte de pression carcérale omniprésente, tout est bon pour se vider le corps et l’esprit. « Etre enfermé, c’est difficile. On est trop sous pression, on n’a pas de nouvelle de notre famille. Parfois, ça nous fait "péter les plombs". La boxe, ça nous aide à nous libérer. Il n’y a que dans ces moments-là qu’on peut se lâcher un peu », acquiesce Rudolphe.

« J’ai tenu bon jusqu’au bout »

Incarcéré presque sans discontinuer depuis l’âge de 16 ans, ce détenu de 33 ans est père de trois enfants. Ressorti il y a quelques années, il s’était juré de ne plus remettre les pieds en prison. Une mauvaise rencontre et un mauvais coup l’ont fait replonger. « Le passé nous rattrape. Même si on veut décrocher, quand on a un passé, c’est difficile », ajoute-t-il. En attendant sa prochaine libération prévue en décembre, Rudolphe a trouvé dans le sport un bon moyen de s’évader l’espace d’un instant d’un quotidien morose. Comme onze autres détenus, il s’est donc porté volontaire en juin pour suivre des cours de boxe sous la houlette du moniteur de sport Freddy Camele et du boxeur Eric Dagard, médaillé d’or aux derniers Jeux des îles. Cette activité était proposée dans le cadre du programme « », un plan d’action fédéral lancé en 2012 et destiné à un public varié (jeunes en difficultés, personnes en situation de handicap, détenus, public féminin...). Trois mois durant, les apprentis boxeurs ont travaillé l’art du crochet et de l’esquive à raison de deux entraînements par semaine. Seulement deux d’entre ont abandonné en cours de route. Les autres étaient tous présents autour du ring installé dans une salle sombre égayée par leurs francs sourires. Et pour cause, ils ont eu la chance d’affronter certains des meilleurs pugilistes réunionnais lors d’un gala de fin de cycle. Avant cela, ils ont même eu droit à une représentation hilarante de trois dalons du collectif d’humoristes Teat La Kour, invités pour l’occasion. De quoi chasser les idées noires et « faire que la haine et la rage sortent », dixit Erwan. Pendant plus d’une heure, les matches se sont enchaînés sur le ring. Chaque détenu y a mis du cœur, à l’image de Rudy, tout heureux après son combat contre Romain Vaitilingom. « La première fois, je m’étais blessé au mollet au deuxième round (Ndlr : lors du premier stage d’initiation boxe lancé au centre pénitentiaire du Port, en 2013). Cette fois-ci, j’ai tenu bon jusqu’au bout », lâchait-il après coup.

« Un petit coup de nitro »

Certains ont même fait forte impression, à l’image de Sébastien, qui a envoyé son adversaire au tapis dans la troisième reprise. De quoi lui donner quelques idées avant sa libération, prévue en fin d’année. « Je remercie notre moniteur. Grâce à la boxe, on dégage ce qu’on a sur le coeur. On se défoule sur le ring et on en sort relâché. C’est un petit coup de nitro. Dès que je sors (Ndlr : de prison), je vais essayer de rentrer dans un club et pousser un peu plus loin », livrait-il suite à son beau combat. Bien sûr, canaliser une violence parfois ancrée profondément en vous n’est pas toujours chose aisée. Touché à l’arcade sourcilière après un coup de tête de son adversaire, Florent Kaouachi l’a appris à ses dépens. Sans rancune toutefois. L’homme ne connaît que trop bien les risques du métier. Car après tout, sur un ring, les coups ne sont pas punis par la loi. Et c’est bien là le principal, notamment aux yeux du personnel carcéral. « C’est une pratique qui les cadre, souligne Lionel Grand, le directeur adjoint du centre portois. C’est nécessaire d’avoir ce genre d’activité qui amènent des valeurs sociétales qu’ils n’ont pas toujours intégrées, raison pour laquelle la plupart se retrouvent ici. On essaye de mettre en place plusieurs activités comme celle-ci afin que le détenu trouve une ficelle sur laquelle tirer pour sa réinsertion. Si on peut y parvenir, c’est un combat de gagné ». Mais cette fois, ce n’est pas seulement sur le ring.

Par Vincent Couet-Lannes

Source : Le Quotidien de la Réunion

 

 

 

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